une sorte de mer (3)

fresque

au commencement du commencement tu me parlais des spires crus déroulants leur poignet dans une lenteur d’une beauté envoûtante

je pensais ces pousses dans leur chape rousse à l’odeur neuve de sève tant mes papilles en cherchaient l’eau et la saveur puis je regardais en moi les espaces d’enfance où je marchais cachée sous leur ample et mature verdeur

nos sens d’alors ne savaient nos sens comme nous ne nous savions pas et nos temps ne glissaient jamais aux mêmes lieux aux mêmes espaces nous n’avions connaissance de nos savoirs que par l’intuition d’un mouvement aspirant

infiniment le roulement des jours nuits jours transportait les capsules des spores et jusqu’à ce jardin insu cette clairière étendue de frémissements à la moindre brise et dont les murmures bruissent sous de vénérables arborescences

regarde ce vaste jardin poussé pour le simple fait d’être où des têtes vives et velues sortent de terre déroulent une crosse et mille on dirait une mer de violons verts et se déployant jusqu’à la forme véritable — bras ou plumes de perfection fractale

sans cesse balancées et brassées en mouvement de vagues les tiges et les hampes chantent emplissent l’air des arômes doux et frais se répandant aussi loin que profond

vois-tu

—————————-

modifié 290424-10:33 + 20:10

une sorte de (mal de) mer

quatre panneaux noirs

.

.

.

rien non vraiment rien ne se produit tel que prévu partout les impromptus surgissent en vagues désordonnées ou bourdonnantes de stimulus en tout sens les neurones crépitent reçoivent et envoient des ondes des oscillations trépidantes flots invisibles tandis que tu regardes la lourde concrétude écraser toutes les formes de la beauté vivante

le regard épris tes yeux ne regardent pas le réel tel qu’il est mais tel que tu le perçois au travers tes songes et des ailleurs où les fleurs sont des yeux affamés ou morts des ailleurs détruis par la maladie du pouvoir et de la guerre aux êtres démunis se déchirant les uns les autres le pain des ailleurs aux peuples appauvris et brisés s’arrachant la vie

ton écran pullule d’images atroces de la laideur humaine tu parles de la guerre dont tu ne connais rien ce remuement incessant des cruautés et d’abjections dès que ta bouche s’ouvre je pense et vois ces gestes immondes à tes paroles subjuguées d’horreurs je meurs immobile devant toi je meurs…

tu te plains que je peins la toile des abolitions en noir et crache le rouge aux orbites en ravage tu dis que je l’incarne comme les corbeaux lacèrent je m’exaspère et prends le couteau je tue le tableau par petits coups prestes et hardis

.

.

.

le ciel, le voeu, la faim, le cri et

LE CIEL

angle après angle

la lumière grimpe

les échelles du ciel

au-dessus

des nuages souillés

plombants

nos mines blêmes

et tourmentées

qui rêvent et espèrent

souhaitent ou prient

un printemps de paix

.

.

.

LE VOEU

des chants d’oiseaux

encouragent

pousses et bourgeons

le vert du voeu vert

la ferveur et le nid

où les oeufs craquent

l’oisillon plaintif

attire l’étourneau

le faucon

fond sur

le festin chaud

.

.

.

LA FAIM

sous une épinette vertigineuse

balancée de caprices éoliens

la gueule d’un petit félin a des ailes

une tâche rouge gît

sur un lit d’automne frippé

elle a le bec jaune et clos

pour de bon

la fourrure rayée

emporte son butin

queue d’oiseau devant

queue de chat derrière

.

.

.

LE CRI

sortie au balcon

une voisine colorée

s’égosille ahurie du massacre

l’annonce à qui veut entendre

proteste et invective

les cruelles créatures

et leurs festins

… pendant ce temps

des hommes font des guerres

ravageant des enfances

et rien n’est dit ni fait…

.

.

.

ET

il me vient à penser

que le festin des bêtes

auquel je souris

n’a rien de cruel

mais les êtres le sont tant

qu’ils y sont aveugles

et par les temps qui courent

de toutes les créatures terrestres

les humains sont pires

car ils tuent

leurs futurs

.

.

.

une sorte de mer (2)

.

.

.

immobile, les doigts à peine déposés sur les touches du piano, tu écoutes le silence résonner — la pièce est encombrée d’objets et de livres, dépôts savants, quelques témoins, mais il n’y a que le piano, le silence et toi

les yeux clos, tu pèches dans les ondes comme d’autres méditent, la truite sonore, je veux dire l’exocet ou l’espadon mélodique, le ruban argenté d’une myriade de petits poissons aux mouvements saccadés et roulants, ce flot son continu

les yeux clos la mer monte dans le petit salon et l’engloutit — de longues algues se balancent comme tes doigts courent doucement sur le piano — l’eau embrasse tout et ton silence transfuse aux ondes le coulant parfaitement bleu

tu ouvres les paupières les yeux rivés sur l’histoire intérieure à l’histoire, la musique de la mer gonfle ou enfle et des créatures furtives glissent et effacent les motifs ondulants de leur sillage au-dessus des anémones

tu figures un grand hippocampe agrippé à une branche de corail — mille petits sortent de ton ventre et jouent autour de ta bouche — des doigts de lumière plongent en une cathédrale qui danse et s’évanouit se rallume et s’éloigne

puis, immobile, les doigts à peine déposés sur les touches du piano tu écoutes le silence résonner. la pièce est encombrée d’objets et de livres mais il n’y a que le piano, le silence et toi

.

.

.

(modifié) 28.03

(modifié) 29.03

une sorte de mer

.

.

.

au loin très loin

où l’oeil ne perçoit plus :

vallons et monts à perte de vue

infiniment vert sombre

où branches et bras griffent l’air

l’eau profonde du ciel

tu t’appuies

sur les pierres anciennes

abris de fossiles et géodes

tes yeux habités exultent

devant l’immobilité apparante

le poème vif des rais de lumière

que tu respires et expires

par battements de coeur

en vagues successives

.

.

.

je t’imagine ainsi et

je t’imagine à flanc d’Everest

à flanc

près d’un bivouac

je t’imagine respirer

l’air rare

à la pointe du monde

comme je t’imagine

ailleurs

avec un livre à la main

(certains livres seraient des Everest)

(à conquérir)

les yeux éperdus de mondes intérieurs

les yeux éperdus

devant une sorte de mer

(à conquérir)

.

.

.

le plus grand silence

n’est-il pas à ces sommets

et ces isthmes intimes

qui délivrent

livrant tout

.

.

.

délivré il n’y aurait plus de vertige

ni le sol ni l’horizon ne tangueraient

il n’y aurait que des fatigues dues aux ascensions

des victoires et leurs joies pérennes

il n’y aurait

que ta conscience forte

comme ton sang

alors tu serais le dresseur

le dresseur des hauteurs qui te peuplent

.

.

.

je t’imagine ainsi

trop vif pour ta vie

battue rebattue de marées pulsantes

comme par des monstres humains

aux tentacules empoisonnés

sortants de leur bouche pour projeter

des mensonges et des maux

je t’imagine

sans débordement n’être pourtant que cela

.

.

.

à des lieux de toi

j’ausculte la pente du vent

sous les délires en coton blanc

bouchant la vastitude même

bouchant comme plâtre

tout l’espace qui nous aspire

et je t’imagine

libre

.

.

.

.

petites danses et chants muets dans la neige

pointer piquer du pied

arrondis demi cercle piquer

pas de chat

chasser pas de chat piquer

recommence

je te dis recommence

tête cou épaule à la verticale – imagine qu’un fil te tire au ciel

tes bras sont l’arc tendu et

tu es la flèche

de la cheville aux bouts des pieds est l’empenne

plier les genoux les pieds en première – plie plus

saute et saute et chasser plier arabesque

tu as mal? recommence tu te réchauffes

.

.

.

j’inspire les notes froides de la neige, versée du Nord, couvrant l’asphalte. depuis le trottoir je fais un bond et atterris les pieds écartés. des pattes d’oiseaux dessinent un petit parcours que je copie en plus grand. mes pas font des traces noires qui se croissent ou tournent et retournent. puis j’atterris sur l’autre trottoir en faisant un bond. une voiture passe sur la chorégraphie et la raye de parallèles. je pose le pied dans l’une des traces de pneus et de l’autre pied je dessine une ligne plus fine, je saute dans l’autre grande trace, et du pied opposé dessine une autre ligne fine, puis encore une au centre : voici une portée, me dis-je, en sautant sur le trottoir. il neige sur ma danse et je chante en silence.

.

.

.

les muscles de l’abdomen bien tendus

on soutient le diaphragme on inspire par les côtes et le dos

on baille la gorge et

.

.

.

je ne sais pas si les étourneaux sont revenus, j’adore les regarder quand ils paradent. ils dansent en sautant les ailes en haut puis en bas, en faisant tous les sons dont ils sont capables pour charmer une comparse, les imitations de rouge-gorge et de chardonneret tout y passe. ils chantent la gorges renversée grande ouverte comme si le cœur allait en sortir. plus tard, ils apprennent les sons et les intonations à leurs petits, et c’est si drôle et charmant, la répétition, la patience, l’encouragement, et la victoire dans le chant de l’oiseau dès que son petit acquière la juste modulation. dès lors ils s’appellent d’une branche à l’autre et se causent d’ici et là

.

.

.

mademoiselle, tu n’y est pas du tout

regarde, on fait comme ça comme ça

« comme ça, ça ne veut rien dire, madame »

… et on recommence depuis le début allez les filles

.

.

.

j’inspire dans le froid et me tend

je suis flèche dans l’arc de mes bras

la neige danse ses rideaux où

mes traces de pas dessinent

un chant dédié à la disparition

je suis les traces d’oiseaux

sautille avance tourne retourne

entre les allées venues des voitures

un passant fait semblant

de ne pas me voir

je refais des lignes entre

les lignes puis des cercles

je danse dans le voile de neige

à la nuit de noce du printemps

je danse sur la condensation

je danse la buée et le souffle du monde

je danse la sueur des êtres

je danse les mers et la plainte des oies

et la plainte des oies

.

.

.

(modifié)

le jour du jour égal (à la nuit)

je laisse mes doigts courir:

le ciel fait des tiennes rayonne et poudroie de cristaux et de givres. des rideaux glissent s’envolent. bouchées de gris sale comme plâtrées d’écumes les heures blanches s’alignent et nous mangent nous mâchent le dos la main par le front dévoré la fontanelle ouverte les yeux rivés devant la grande étoile du jour

une oscillation immense balance les isthmes de pierres fondamentales (tu dirais « montagnes » ou « rocheuses »), les peuples-forêts respirants et tapissés de mycorhizes, ses vigiles attentives, les océans profonds habités d’animaux inconnus et dépeuplés des connus, les lignées de créatures vivantes dotées de fourrure et d’ailes, d’insectes préhistoriques, et les hommes malades de pouvoir et de destruction. elle balance dans ses signes et ses odeurs nos mythes et nos erreurs, la folie des croyances, nos peurs

errants dans tout cet espace, accrochés à la lune, à l’étoile, tournent la saison le monde la pensée la vie. tournent nos villes et nos jardins. et plus grand que nous, plus vaste, tournent les étranges planètes compagnonnes d’un tout petit système solaire propulsé vers tout l’inconnu

devant les grands mouvements des poulies du ciel, comment les êtres auront-ils inventés la pensée d’un immuable insensé (ou incensé) alors que tout fait un sens si gigantesque, comment auront-ils eu l’idée de se penser en quelque pouvoir que ce soit, qui plus est illusoire, quand ils vivent sans comprendre ni percevoir l’extraordinaire même du fait d’exister, ici maintenant, quelque part sur la Terre, où la seule égalité réelle est celle de l’équinoxe entre deux solstices

* … *

*

je suis pour l’égalité, les montagnes sont égales à la mer

je suis pour l’égalité, les forêts sont égales aux êtres

je suis pour l’égalité, les libellules sont égales aux fleurs

je suis pour l’égalité, les caribous sont égaux à un peuple

je suis pour l’égalité, les slips sont égaux aux slips

je suis pour l’égalité, l’humain est égal à lui-même

je suis pour l’égalité, l’humain n’est pas qu’homme

*

* … *

mais ce n’est pas égal, la vie. la planète contre les humains, les humains contre la planète, ce n’est ni égal ni loyal ni juste. cette lutte qui l’inventa, qui l’entretient, qui croit un tel mode de pensée — livrer bataille à sa propre planète, n’est-ce pas imbécile et autant que de s’attacher une bombe au corps délibérément — : je remets en question la supposée supériorité des humains et les mets au défi de sauver le monde de la stupidité destructrice ancestrale

qui change la pensée qui l’ouvre vers le futur …

nous ne sommes que des témoins dans une course à relais, soit, nous recevons le bâton-vivant pour en être les porteurs d’une génération à l’autre, soit, mais pour le transmettre d’une génération à l’autre : qu’est-il transmit, l’angoisse ou la joie

* … *

*

post scriptum :

El Niño cuit des oies à froid

je répète:

El Niño cuit des oies à froid

les renards du jardin festoient

il y aura des plumes et du sang

sur les fleurs sauvages ce printemps

petit supplice

en attendant l’équinoxe

les heures

blanches

glissent

au ciel

pèse

le plâtre

que lisse

le vent

coulé du Nord

coulé d’Ouest

le vent blanc

tirant contre

les cols verts

les outardes

trop pressés

d’arriver

au faux hatif

d’un printemps

trop pressé

d’un monde

pressé d’être

pressé sous

des minutes

lourdes

des heures

blanches

et lentes

qui s’allongent

de jour

en jour

comme

un goutte

à goutte ou

une idée

un peu

chinoise

un peu

penchée

sur un

temporel

petit supplice

le feu manquant

ils annoncent un météore

un gros…

sous un ciel de plâtre lisse

des jours durant

rien n’ouvre le couvercle

blanc

rien n’ouvre le ciel

… sauf un invisible et possible météore

.

.

.

dans ta République Olympiques

c’est dégueux et ça chlingue

aux guichets automatiques

où s’entassent les déchets

des urbaniques protestataires

Paris c’est très huppé et chic …

écoeuré, tu bouffes des céréales à

25 Euros la boîte de flocons

.

.

.

dans ta City very London

les Néo-Barbies sortent vêtues cul-nu

certaines d’être des femmes libérées

et dans le soir dévalent les rues

transformées

en Red Light géant

pendant ce temps les hommes vont au Pub du coin

rêver d’amour…

et pleurer dans leur pinte de bière

.

.

.

dans ta Méga Tokyo aux mille et un Sushis

ton cubicule d’habitat est miniature

c’est ton bathyscaphe

tu restes volontairement enfermé

car tout se livre

les chemises propres les repas à ta porte

et le monde

t’indiffère ou te liquifie

.

.

.

dans les havres des bords de mer

t’as d’la neige jusqu’en haut d’la porte

ou en tout cas t’en as

tu prends ta pelle

tu t’accroches le courage au coeur

tu chantes pas fort…

.

.

.

dans ton villagio des italies surprises par la neige

tu te blottis dans le lit de pailles ou de plumes

les pierres des murs suent l’hiver

et tu trembles

car les loups chantent

qu’il fait froid

.

.

.

dans la très vaste contrée d’un Poutine

tu prends ton mal en patience

comme tu es sur écoute

tu as pris l’habitude de

n’être que la moitié de toi

en avalant de la vodka maison

.

.

.

ailleurs, dans plein d’ailleurs

c’est la mort

le feu, c’est la guerre qui tue des enfants

des enfants et des femmes

au nom d’un supposé dieu

au nom d’un vouloir menteur

d’un pouvoir tricheur

.

.

.

dans mon pays pas pays

nos villages et nos villes jusqu’à la Métropole

le feu de vivre se meurt

on se le cherche

tous

on se le demande sur la rue

« as tu du feu »

c’est la quête archétypale

celle d’avant le monde moderne

celle de la caverne

en 2372 après Platon

.

.

.

évidemment le météore passe tout droit

* *

*

(modifié) 12.02.2024

version non définitive

arrime

et j’épie

ton échine ses fibres irriguées

souples — à ceindre

à tenir tête

à ployer

sous l’invisible impalpable

la charge du silence d’où tu émerges

.

.

.

.

.

ce maintien

tout contre

l’arbre des nerfs qui te respire

vif

absorbe et cumule :

tous tes chocs

révèlent

les lignes de failles à ton monde

où logent des rigueurs

leurs implantations

le malgré toi

.

.

.

.

.

ondes et rumeurs du coccyx à l’os occipital

les vertèbres une à une

communiquent l’essence sentie

des minutes unes à unes

inscrites dans ta mémoire — vie entière

.

.

.

.

.

comme tu regardes le défilement du Monde

plongé dans un présent qui se fuit

en surnageant au milieu des requins

dans cette mer de jours et de nuits perpétuelles

ton songe subsiste-t-il?

.

.

.

.

.

ta belle tête fait l’italique

devant les fenêtres où le ciel se plâtre

se redresse et demande :

— « à quoi souris-tu? »

je réponds que

je souris à ton songe

.

.

.

le jour pépie

la lumière

le matin

s’étend

longe

les cordes à linge

lignes électriques de la ville

où de petites gouttes

s’agitent et

frémissent

vives

.

.

.

les gouttes bougent

s’envolent

font mine de tomber

très haut

puis s’assemblent

au sol

elles dansent

foulent les poussières

les grains

ébrouent les riens

.

.

.

au soleil

à la branche

et ta manche

le jour pépie

12 000

ils étaient

l’enfance

ils étaient beaux et rieurs

chevelus

plantés droits

sur des jambes faites pour courir

sauter danser

vivre

ils chantaient

la vie même

des louanges

d’oiseaux taquins

et leurs mères sans doute criaient

en les aimant fort

et leurs pères sans doute criaient aussi

en les aimant fort

car ils étaient des enfants

ils étaient 12 000

à Gaza

… ils ne sont plus

ils ne sont plus.